La roue de la vie.
La roue de la vie.
Modifié août 2017
Dans certaines écoles bouddhistes, samsara, le cycle des existences, est représenté par la Roue de la Vie. Afin de le rendre accessible au plus grand nombre, ces écoles ont reproduit de manière graphique l’essence de l’enseignement bouddhiste.
Au centre de cette roue, on trouve les trois poisons, ignorance, avidité et aversion, souvent symbolisés par un chat, un coq et un serpent. Autour de lui gravitent les six royaumes de réincarnation, enfer, les preta (êtres perpétuellement en manque), animaux, humains, asura (les dieux envieux et agressifs), et enfin celui des dieux. Les douze liens de production interdépendante encerclent ces six royaumes, le tout étant maintenu par les griffes de la mort.
En schématisant, la roue nous dit que les douze liens de production créent les conditions de notre transmigration dans les six royaumes d’illusion. Toutes ces images ont été créées pour nous aider à comprendre la ronde de la vie et le fonctionnement de notre esprit. Ainsi ces six royaumes, qui pourraient nous faire penser à des enfers ou à des paradis, ne sont autres que nos propres états psychologiques dans lesquels nous migrons d’un instant à l’autre. Dans la peur de manquer on se retrouve preta. Ou alors asura, envieux de la place de notre voisin. Et parfois on tombe en enfer lorsque cette jalousie nous pousse à la haine et la violence.
Peur, avidité, haine, extase, ambition, autant de royaumes de réincarnation.
Ainsi, selon la roue, aveuglés par les vues fausses que nous avons sur nous-mêmes et sur le monde, nous courons d’une illusion à l’autre en pensant que l’assouvissement de nos désirs nous apportera le bonheur, tout en sachant au fond de soi qu’on restera frustrés. Et par-dessus tout cela plane sans cesse l’ombre de l’impermanence et la peur de la mort, si toutefois nous ne la repoussons pas au plus profond de notre inconscient… C’est le samsara...
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Les douze nidana, ou liens de coproduction conditionnée, sont les impulsions qui permettent à la roue de la vie de tourner sans arrêt, sans arrêt. Ce sont les liens qui produisent le samsara.
On trouve pour premier lien l’ignorance, souvent figuré par un aveugle, ignorance de notre véritable nature, éveillée, non-duelle. L’ignorance, c’est l’identification à la fausse idée d’un moi figé. De là naît l’impression d’une séparation entre sujet et objet qui est la base de toute illusion. C’est aussi l’ignorance de la loi de causalité et des conditionnements qu’elle provoque. Alors ont agit mécaniquement et ainsi viennent l’action (karma) et la conscience,
représentés par un potier et un singe. La conscience est le fruit de nos actions car celles-ci laissent des traces en nous, comme si à la base on avait une surface plane qui se hérisserait de reliefs. Autant de concrétions, autant de graines prêtent à germer lorsque les conditions se réunissent, qui nous pousseront dans une direction ou une autre… C’est aussi ce qui impulse l’émergence dans le monde phénoménale à travers la naissance. C’est un flux karmique, de causes et effets... Ce niveau de la Conscience est appelé conscience alaya, conscience base universelle où le karma est lattant. En émergeant, en prenant corps, viennent le «nom et la forme», ce qu’on pourrait appeler les catégories, «moi et le monde», «mon corps/mon esprit ». À partir de l’apparition de la forme se développent les six sens, souvent l’image d’une maison à six fenêtres, qui engendrent le contact. Sujet et objet apparaissent simultanément : coproduction conditionnée... La rencontre entre la conscience personnelle et le monde extérieur par le contact engendre alors les sensations et émotions, représentés par une flèche dans un oeil, qui à leur tour font naître le désir ou l’aversion qui ensuite engendre la saisie, c’est à dire l’appropriation, ou le rejet, et l’attachement, qui perpétue le devenir, et donc la naissance et la mort.
La roue de la vie et les douze liens (nidana) ne sont pas un dogme. C’est juste une manière de mettre des mots et des images sur les forces qui nous amènent au sentiment d’existence. Ce qu’il est important de savoir, c’est qu’en brisant un seul des douze liens, on peut arrêter la roue de tourner. C’est sortir instantanément du samsara, du ballet des illusions. L’enseignement du bouddha s’attaquait avant tout au premier lien de l’ignorance, mais aussi, dans le contexte de la vie monastique, aux liens du contact et du désir…
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On peut être surpris par l’aversion, le rejet violent des bouddhistes primitifs de ce qui fait renaître, du désir, de l’existence même parce que source de souffrance. On a l’impression d’une vision négative de la vie. Outre la nécessité d’une vie en communauté apaisée et la volonté d’aider les moines et nonnes à se concentrer sur leur pratique, peut-être l’enseignement du bouddha a-t-il été interprété ainsi pour pousser les êtres humains à questionner leur monde. Quoi qu’il en soit, le bouddhisme primitif semble particulièrement tourné vers la mort et l’extinction, la sortie définitive du samsara par le parinirvana (sortie définitive du cycle des renaissances).
Pourquoi sortir du samsara ? Pour ne plus souffrir… Le désir d’échapper à la souffrance était le moteur de la pratique de nombre de ces bouddhistes, frisant parfois l’excès. On se coupe du monde, on se coupe des êtres vivants, on devient complètement obnubilé par sa propre salvation tombant dans le dualisme en cultivant le pur pour rejeter l’impur, fuyant le samsara pour saisir le nirvana. Et ainsi, la volonté de briser la chaîne des conditionnements ne fait souvent que la renforcer.
La soif crée le devenir et la souffrance (dukkha, frustration), la souffrance pouvant se résumer à l’attachement à des phénomènes de nature impermanents. Pourtant la souffrance n’est pas mal en tant que telle, l’attachement ou le désir non plus. Ils sont vides et ne sont que le résultat d’une suite ininterrompue, infinie, de causes et d’effets, et finalement la souffrance dépend essentiellement de notre manière de percevoir et d’appréhender les évènements. Aussi, l’enseignement (dharma) du bouddha n’est pas là pour stigmatiser désir et souffrance, le dharma du bouddha est là pour libérer…
Selon le bouddhisme ancien, ou pourrait penser qu’il y a quelque chose à fuir, qu’il y a une séparation à faire entre samsara et nirvana. Pourtant, fondamentalement tout est éveil, Conscience, et chaque phénomène peut être source d’éveil. Ainsi, les mêmes phénomènes qui peuvent accroître notre aveuglement et renforcer les murs de notre prison peuvent aussi nous libérer. C’est uniquement une question d’état d’esprit, de conscience.
Du big bang à aujourd’hui, de l’énergie pure aux atomes et molécules, des minéraux aux amibes, des plantes aux animaux, le «Vide» s’actualise dans la forme. La vie sur Terre ne peut se perpétuer que dans un ensemble de conditions (température, acidité etc.) très limité. L’effort de maintient de l’équilibre interne d’un organisme permettant sa survie est ce qui a guidé l’évolution de la vie, favorisant l’expansion de la conscience pour une adaptabilité maximum à des environnements sans cesse changeants, jusqu’à cette possibilité pour la Nature de prendre conscience d’elle-même et boucler ainsi la boucle de l’évolution. S’éveiller est alors, pour un humain, aller au bout de son humanité. Le cosmos n’a peut-être pas besoin des êtres humains, mais n’est-ce pas notre destiné que de s’éveiller à la nature profonde de la Vie? Le connais-toi toi-même de Socrate...
Au fil de l’évolution, nos systèmes nerveux se sont développés pour favoriser une adaptabilité toujours plus grande. Le choix, le rejet, sont à la base, issus des sentiments qui nous informent sur les dangers qu’encourent nos organismes. La dualité sujet/objet, la subjectivité s’est ainsi développée entraînant la construction d’une personnalité aux contours fluctuants, un ego assez semblable au nuage évoluant dans le ciel. L’ego est donc la protubérance d’une forme de vie en quête de préservation. Ainsi, les choix, les désirs, issus de nécessitées physiologiques, ne sont pas mauvais en eux-mêmes, et finalement ils sont la base de la vie. Si l’on arrêtait de répondre à ces désirs nous entraînant à saisir un objet ou un autre, par exemple pour étancher sa soif, remplir son ventre, ou même faire l’amour, il n’y aurait tout bonnement plus de vie, ni de bouddhas, ni d’éveil, brisant ainsi l’élan profond de l’Univers.
Naissance, vieillesse, mort, désirs sont des expressions naturelles de la vie, ni bien ni mal. Tout est en perpétuel changement, naissant et mourant, se réincarnant instant après instant au fil d’une chaîne de causes et d’effets sans fin, et on ne peut que l’accepter en s’abandonnant au flux du monde. Les désirs apparaissent en nous qu’on le veuille ou non : Les fleurs fanent même si on les aime et l’herbe pousse même si on la déteste, dit Dogen dans le Genjo Koan. La vie ne devient souffrance qu’à cause des attachements aveugles à ces désirs, au fait de ne pas les voir et d’être emprisonné par eux, et à cause de l’attachement à un ego figé illusoire. Voir! Inutile ensuite de se soucier de samsara ou de nirvana.
Le rapport entre samsara et nirvana n’est pas différent du rapport entre illusion et éveil. Il n’y a pas de séparation... C’est un rapport similaire qu’entre la glace et l’eau. C’est le rapport entre un esprit figé et un esprit fluide. Finalement, on en revient toujours à cette phrase éternellement répétée dans les dojo zen : «laissez passer les pensées!»
Dans de nombreuses Voies, on met particulièrement l’accent sur la pratique à travers son propre corps. Ainsi, en zazen (méditation assise), dans l’immobilité de la posture on tourne son regard vers l’intérieur. Dans cette attention, on peut observer comment fonctionne la roue de la vie en nous-même, et ceci à partir du point de vue non conditionné de la posture, de la conscience du Corps (voir le texte suivant «Le Corps sait»). On peut s’observer transmigrer d’un royaume à l’autre, on peut voir le karma s’exprimer à travers les pensées ou les problèmes physiques. Voir comment celui-ci conditionne instant après instant. Le maître japonais Taisen Deshimaru parlait souvent de comment l’espace créé par le «laisser passer» permet au karma non manifesté, en germe dans la conscience alaya, de se révéler et ainsi de se dissoudre, perdant sa potentialité. Les pensées elles-mêmes sont comme des êtres vivants qui transmigrent, naissent et meurent.
Ne soyez ni pour, ni contre elles, ce serait perpétuer l’enchaînement. Laissez-les être, laissez-les apparaître, laissez-les disparaître, restez centré, expirez. Vous êtes l’Instant. Reste-t-il alors une place pour le conditionnement? Car finalement, dans l’attention de zazen, on peut voir que ces phénomènes apparaissent et disparaissent dans une conscience plus vaste, une présence qui dépasse l’être individuel. Une conscience libre et éveillée, non-né et inconditionnée.
Ainsi, «laisser passer les pensées» c’est précisément cesser de transmigrer. C’est trancher le karma et revenir à la réalité des choses telles qu’elles sont, ici et maintenant. Eno s’est éveillé en entendant cette phrase du Sutra du Diamant : Lorsque l’esprit ne se pose sur rien, le véritable esprit apparaît…
Le laisser passer et l’Assise n’appartiennent a aucune religion. Quel que soit notre origine sociale, ethnique, religieuse, quelle que soit notre histoire, notre vrai visage apparaît. notre histoire, notre vrai visage apparaît. Du point de vue du bouddhisme on peut dire que laisser passer les pensées, c’est finalement actualiser le nirvana dans le samsara, dans l’instant. Ce ne sont pas que des mots. C’est une pratique concrète...
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Pratiquer le bouddhisme ne devrait pas être rejeter la vie, mais simplement faire un pas de côté par rapport à soi-même, au flot des désirs, des attachements qui forment la conscience « personnelle », ce flux karmique. L’observer à partir de l’œil éveillé de la posture, du Corps. Voir que par la force des choses on crée un sujet, on crée un objet et qu’à partir du moment où on les fige, ceci devient la racine de toute illusion, de toute souffrance. L’esprit large c’est voir que ce qui est personnel n’est pas si personnel. Il n’y a au final rien de personnel, pas de « personne » en tant que telle...
Dans la bakthi hindoue, on retrouve cette idée. Il ne s’agit plus de fuir la vie ou le karma, l’existence, mais d’être libre dans cette vie même en n’étant plus attaché au fruit de ses actions, conscient de ce qui prend place en soi et de sa nature profonde. Faire l’amour, fête, musique, boulot, pourquoi pas ! Mais surtout Voir...
Philippe Coupey parle d’être détaché dans l’attachement.
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Suivant les mouvements de l’univers, la roue de la vie tourne, tourne en nous, sans arrêt, nous entraînant d’un lien de production à l’autre, d’un royaume de renaissance à l’autre, d’une frustration ou d’une joie à l’autre. Et pourtant, nous avons une fenêtre de liberté dans ce tourbillon. Et cela se passe dans l’instant. Il suffit de faire ce petit pas de côté, brisant l’ignorance, soudainement libre.
On pourrait dire que nous parlons ici de retrouver pleinement l’instant. L’instant qui est l’Univers, la Vie, la seule réalité incluant toutes choses, toute compassion, toute sagesse, seul espace où l’éternité puisse se faufiler. D’une certaine manière, tous les enseignements du Bouddha aboutissent à cela.
Présence au monde, à ce qui est…
Et cela, on ne peut en parler,
on ne peut que l’expérimenter…
Laissez passer les pensées...
Nantes, 2007-2022
La roue de la vie par Trungpa en pdf : La Roue de lexistence VCTR_blog.pdf